Une vallée ; un couvent dans le fond.
Entrent PHILIPPE STROZZI et deux moines ; des novices portent le cercueil de Louise ; ils le posent dans un tombeau.
Philippe.
Avant de la mettre dans son dernier lit, laissez-moi l’embrasser. Lorsqu’elle était couchée, c’est ainsi que je me penchais sur elle pour lui donner le baiser du soir. Ses yeux mélancoliques étaient ainsi fermés à demi ; mais ils se rouvraient au premier rayon du soleil, comme deux fleurs d’azur ; elle se levait doucement, le sourire sur les lèvres, et elle venait rendre à son vieux père son baiser de la veille. Sa figure céleste rendait délicieux un moment bien triste, le réveil d’un homme fatigué de la vie. Un jour de plus, pensais-je en voyant l’aurore, un sillon de plus dans mon champ ! Mais alors j’apercevais ma fille, la vie m’apparaissait sous la forme de sa beauté, et la clarté du jour était la bienvenue.
On ferme le tombeau.
Pierre Strozzi, derrière la scène.
Par ici, venez par ici.
Philippe.
Tu ne te lèveras plus de ta couche ; tu ne poseras pas tes pieds nus sur ce gazon pour revenir trouver ton père. Ô ma Louise ! il n’y a que Dieu qui a su qui tu étais, et moi, moi, moi !
Pierre, entrant.
Ils sont cent à Sestino qui arrivent du Piémont. Venez, Philippe ; le temps des larmes est passé.
Philippe.
Enfant, sais-tu ce que c’est que le temps des larmes ?
Pierre.
Les bannis se sont rassemblés à Sestino ; il est temps de penser à la vengeance ; marchons franchement sur Florence avec notre petite armée. Si nous pouvons arriver à propos pendant la nuit et surprendre les postes de la citadelle, tout est dit. Par le ciel ! j’élèverai à ma sœur un autre mausolée que celui-là.
Philippe.
Non pas moi ; allez sans moi, mes amis.
Pierre.
Nous ne pouvons nous passer de vous ; sachez-le, les confédérés comptent sur votre nom ; François Ier lui-même attend de vous un mouvement en faveur de la liberté. Il vous écrit comme aux chefs des républicains florentins ; voilà sa lettre.
Philippe ouvre la lettre.
Dis à celui qui t’a apporté cette lettre qu’il réponde ceci au roi de France : Le jour où Philippe portera les armes contre son pays, il sera devenu fou.
Pierre.
Quelle est cette nouvelle sentence ?
Philippe.
Celle qui me convient.
Pierre.
Ainsi vous perdez la cause des bannis pour le plaisir de faire une phrase ! Prenez garde, mon père, il ne s’agit pas là d’un passage de Pline ; réfléchissez avant de dire non.
Philippe.
Il y a soixante ans que je sais ce que je devais répondre à la lettre du roi de France.
Pierre.
Cela passe toute idée ! vous me forceriez à vous dire de certaines choses. Venez avec nous, mon père, je vous en supplie. Lorsque j’allais chez les Pazzi, ne m’avez-vous pas dit : Emmène-moi ? Cela était-il différent alors ?
Philippe.
Très différent. Un père offensé, qui sort de sa maison l’épée à la main, avec ses amis, pour aller réclamer justice, est très différent d’un rebelle qui porte les armes contre son pays, en rase campagne et au mépris des lois.
Pierre.
Il s’agissait bien de réclamer justice ! il s’agissait d’assommer Alexandre ! Qu’est-ce qu’il y a de changé aujourd’hui ? Vous n’aimez pas votre pays, ou sans cela vous profiteriez d’une occasion comme celle-ci.
Philippe.
Une occasion, mon Dieu ! cela une occasion !
Il frappe le tombeau.
Pierre.
Laissez-vous fléchir.
Philippe.
Je n’ai pas une douleur ambitieuse ; laisse-moi seul, j’en ai assez dit.
Pierre.
Vieillard obstiné ! inexorable faiseur de sentences ! vous serez cause de notre perte.
Philippe.
Tais-toi, insolent ! sors d’ici !
Pierre.
Je ne puis dire ce qui se passe en moi. Allez où il vous plaira, nous agirons sans vous cette fois. Eh ! mort de Dieu ! il ne sera pas dit que tout soit perdu faute d’un traducteur de latin !
Il sort.
Philippe.
Ton jour est venu, Philippe ! tout cela signifie que ton jour est venu.
Il sort.
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